Chapitre 2 (partie 1)

Chapitre 2

Aëlys s'assit dans un fauteuil de feutre rouge, richement décoré, installant confortablement son corps fin sur les coussins moelleux et appuyant négligemment son bras gauche sur l'accoudoir. Elle observa en silence son compagnon s'installer en face d'elle sur un fauteuil semblable au sien. L'homme déposa le livre qu'il tenait à la main sur la table basse en bois de merisier, décorée de fines gravures sur toute sa surface, sans que cela entraine le moindre désagrément quant à l'utilité du meuble. Il appela ensuite d'un signe de main un serviteur en livrée qui attendait à l'entrée de la pièce.

"Apporte-nous des boissons. Prend-en de chaque sorte, afin que mon invitée puisse choisir en fonction de ses préférences."

Le serviteur s'inclina profondément et partit accomplir les ordres de son maître. Ce dernier se tourna vers la jeune fille et lui sourit amicalement, sourire auquel elle répondit immédiatement. Reprenant le livre qu'il avait déposé au moment de s'assoir, il fit mine de le feuilleter tandis que son serviteur revenait et plaçait avec soin sur la table plusieurs bouteilles de forme élaborée, contenant diverses liqueurs. Alors qu'il s'apprêtait à repartir, sa tâche accomplie, le maître de maison le retint d'un geste et lui déclara :

"Mademoiselle ici présente sera mon invitée pendant le temps qu'elle jugera bon. Vous lui obéirez tous comme à moi-même, et le moindre de ses désirs sera un ordre pour vous. Je ne veux pas qu'elle puisse formuler la moindre plainte à votre égard.

- Vos recommandations seront suivie à la lettre, monseigneur."

S'inclinant à nouveau, il sortit de la pièce, laissant les deux voyageurs seuls. Aëlys commença par le remercier pour sa sollicitude, remerciement qu'il balaya d'un geste de la main. Il déposa à nouveau son livre sur la table, à côté de leurs verres, puis servit la jeune fille un verre de la boisson qu'elle choisit. Se versant un verre d'une autre liqueur, il en but une gorgée en silence.

"Tout cela est bien naturelle, ma chère. Vous êtes plus importante à mes yeux que toutes mes possessions, et je tiens à ce que vous soyez traitée comme vous le méritez."

Un sourire affectueux répondit à ses paroles, tandis que son invitée portait son verre à ses lèvres. Il la contempla en silence alors qu'elle buvait. Sentant son regard posé sur elle, elle plongea ses yeux dans les siens tout en reposant la coupe. Après un long moment où leurs regards ne se quittèrent pas, ils sourirent tous les deux et regardèrent, comme d'un commun accord, le tableau accroché au dessus de la cheminée.

Il représentait l'océan pendant une tempête, océan agité par des vagues immenses, si bien représentées qu'elle donnaient l'impression de pénétrer dans la pièce, menaçant ses occupants d'une promte noyade si elles parvenaient à les rejoindre, ce qui heureusement était impossible. Quelques éclairs traversaient le ciel noir d'orage, coupant de leurs traits enflammés l'obscurité de la scène nocturne peinte par l'artiste.

Aëlys laissa ses yeux errer sur le tableau pendant un moment, absorbée par l'écume jaillissant de la crête de chaque vague. Chaque gouttelette était représentée avec un réalisme saisissant. Le vent déchainé qui soufflait sur la mer, lui aussi, était parfaitement visible et même sensible, grâce à la qualité du travail effectué par l'artiste. La jeune fille était presque hypnotisée par le tableau, elle se sentait comme aspirée au sein de cette violence splendide. Elle murmura :

"Ton tableau est magnifique...

- Vous aussi, il vous fascine, à ce que je vois. Vous n'êtes pas la seule, Aëlys. Moi même, je reste parfois des heures assis ici, à le regarder. Sans rien faire d'autre. A chaque fois, mes gens sont inquiets de me voir ainsi..."

Il lui sourit, comme pour ratifier leur ressemblance sur ce point, cette forte attirance qu'ils partageaient. Elle eut un léger rire en imaginant son compagnon absorbé par cette contemplation, oubliant tout ce qui n'était pas ce tableau, oubliant le monde, oubliant jusqu'à lui-même. Cela lui ressemblait si peu... Enfin, disons plutôt qu'elle était si loin d'imaginer cela de lui. Elle lui en faisait d'ailleurs la remarque quand un de ses serviteurs entra dans la pièce.

" Monseigneur, le comte de Plassin demande à vous voir. Que dois-je lui répondre ?

- Je ne suis visible pour personne. Quoique... Le comte de Plassin, dis-tu ? Il pourrait nous causer des ennuis si je lui clos ma porte... Il pourrait s'imaginer des choses que je préfèrerais éviter... Conduis-le ici."

Il fit un geste d'excuse à Aëlys puis, lui prenant le bras, il la conduisit galamment dans un petit cabinet attenant à la pièce où ils se trouvaient. Retournant s'assoir ensuite à sa place, comme si rien ne s'était passé, il attendit l'arrivée du comte. Qui ne tarda pas à faire son apparition. Entrant dans la pièce avec de grands gestes d'amitié, il déclara :

"Bien le bonsoir, Seigneur Faust de Llenys. J'espère bien ne pas me montrer impoli en me rendant chez vous aussi tard. Mais, ayant entendu dire que vous étiez rentré de la campagne aujourd'hui, j'ai voulu vous témoigner immédiatement le bonheur où me met votre retour. Vous n'avez été absent qu'une semaine, je le conçois, mais je n'arrive pas à le croire. La ville est si insipide sans vous...

- Je vous remercie de votre bonté, Seigneur comte, répliqua-t-il, un brin d'acidité, dont Plassin ne se rendit pas compte, perçant dans sa voix. Je ne savais pas compter autant pour vous. Mais je suis certain que d'autres ont pu vous distraire de l'horreur de mon absence, que vous déplorez si fort..."

La conversation se poursuivit en échanges de courtoisies, déclarées toujours sur un ton plein de flatterie pour le comte de Plassin, sur le même ton de légère ironie sarcastique pour Faust de Llenys. Elle s'enlisa peu à peu, malgré les efforts du comte pour la relancer, Faust agissant plutôt de telle sorte que, sans que son interlocuteur s'en apperçut, les sujets de conversations s'épuisent les uns après les autres. Ne trouvant bientôt plus rien à dire, le visiteur se trouva contraint de prendre congé sous peine de se montrer insistant et donc impoli. Il quitta donc la pièce, suite à quoi le jeune noble se leva et alla chercher Aëlys.

La jeune fille se rassit dans la place qu'elle avait quitté peu de temps auparavant. Sans le moindre commentaire, elle porta son verre, qu'elle avait emmené avec elle, à ses lèvres et but la dernière gorgée qu'il contenait. Pendant que son hôte le remplissait, elle lui demanda d'une voix douce :

"Si tu me racontais la suite de l'histoire... ? Qu'a fait le jeune homme après l'incendie de son château et la mort de tous les habitants ?"

Faust eut un sourire indulgent face à l'impatience et à l'insistance de son invitée, puis, pendant qu'il reposait sur la table gravée la bouteille de liqueur, il reprit la parole, accédant à la demande d'Aëlys.