Messagère contre son coeur (pv Karya)

Lynhild entra dans les appartements de Karya en ouvrant la porte à la volée, mécontente. Mécontente de ce qu'elle faisait, mécontente de ce qui allait se passer, ou du moins de ce qu'elle pensait qui allait se passer, mécontente de ce qui s'était passé. Comment se retrouvait-elle à pénétrer d'elle-même dans le bureau de son ennemi juré, que cette situation ne manquerait pas d'amuser follement ? Mais un regard autour d'elle lui montra qu'elle était seule dans la pièce. L'ange déchu ne s'y trouvait pas. Ce fait décontenança légèrement la jeune damnée. Elle n'avait pas envisagé une seule seconde qu'elle pourrait ne pas le trouver en ce lieu. Et maintenant, elle ne savait pas comment faire pour le retrouver. Courir partout à travers la forteresse n'était certainement pas une bonne solution.

Puis une autre idée lui vint. Karya invoquait son trident. Ce qui signifiait qu'il ne l'avait pas en permanence visible sur lui. Mais... cela voulait vraisemblablement dire que, lorsqu'il ne l'avait pas, Schatten se trouvait quelque part ailleurs. Il ne pouvait pas n'être nulle part. Tout objet invoqué possède un refuge, où il reste tant que son maître n'a pas besoin de lui. Elle se souvenait fort bien l'avoir entendu dire à la Brigade. Mais où Karya pouvait-il bien laisser son trident ? Quel endroit plus sûr que sa propre forteresse ? Et pourquoi pas dans ses appartements, là où on ne pénétrait qu'avec son autorisation... ? Elle jeta un nouveau regard autour d'elle, cherchant à deviner quels lieux pouvaient convenir à une telle utilisation.

Un bruit la fit brutalement sursauter. Le bruit d'une porte se refermant, doucement, certes, mais pas suffisamment pour échapper à l'ouïe de la jeune damnée. Elle se retourna vivement, et se retrouva face au seigneur des révoltés. Avait-il compris ce qu'elle était en train de faire lorsqu'il était entré ? Elle le regarda entrer sans dire un mot, ne parvenant pas à se décider à faire la commission dont elle s'était chargée. Elle resta immobile et silencieuse, le laissant prendre l'initiative de la rencontre.

Toujours les mêmes paroles, la même attitude... Lynhild tremblait de rage, parvenant de justesse à se contrôler pour ne pas l'interrompre à chaque mot en hurlant de colère. Et ce sourire... Comment un être pouvait-il avoir un tel sourire ? Elle essayait de ne pas le regarder, pour empêcher la peur de s'insinuer en elle. La meilleure manière d'y parvenir étant de loin de garder ses yeux fixés sur les dalles devant elle, ce fut celle qu'elle adopta méthodiquement.

Par contre, cela ne l'empêcha pas de frissonner en le sentant la frôler. Elle redressa la tête, le voyant s'installer sur son lit, continuant à jouer le noble seigneur. Elle le fusilla du regard, parfaitement consciente que ce frôlement était tout à fait intentionnel et calculé, et que sa réaction à elle était prévue et même attendue avec impatience.

"Ne m'insulte pas par tes moqueries
Qui sont aussi odieuses que ta vie.
Cesse de te croire un grand seigneur,
Toi qui es à l'origine de mes malheurs !"

Elle avait parlé avec véhémence, criant presque par moments, pleine de hargne et de mépris. Elle s'en voulait terriblement de ne pas parvenir à rester de marbre face à ses sollicitations amusées qui étaient précisément destinées à la faire réagir ainsi... Elle prit une profonde inspiration pour se calmer, et reprit d'un ton un peu plus serein :

"Je suis ici pour te transmettre un message.
Je ne sais si accepter fut sage,
Mais ce qui est fait ne peut se défaire.
Je parle pour celui qui est dans tes fers."

"Je me passe de tes conseils, monstre !
Ma colère éclate car elle est juste !
Je n'ai pas besoin que tu me montres
Ce que tu crois auguste..."

Lynhild le regarda d'un air méfiant en le voyant quitter son expression sadique pour sembler être disposé à l'écouter. Quel mauvais coup lui préparait-il encore ? Il n'était pas normal qu'il cesse aussi rapidement un jeu qui devait tant lui plaire... Mais elle n'était pas en état de le deviner. Tout ce qu'elle pouvait faire était tenir la promesse qu'elle avait faite à Colmor en transmettant son message, comme son ennemi venait de l'y inviter, puis retourner au plus vite auprès de son ami d'enfance.

"Colmor aimerait te parler,
Et voudrait le faire en priver.
Ce qu'il veut te dire, je ne le sais pas.
Je ne suis que sa messagère, Karya."

Elle baissa la tête. Voilà, elle l'avait dit. Elle avait fait ce qu'elle avait à faire. Elle fit demi-tour et se dirigea jusqu'à la porte, s'arrêtant à un pas de celle-ci et se retournant vers l'ange déchu, en attente de sa réponse. Dès qu'elle l'aurait, elle se dépêcherait de partir, de quitter enfin cet endroit et ce monstre, qui lui faisaient tous deux horreur.

Lynhild sursauta violemment en sentant soudain la présence de Karya juste dans son dos. Elle amorçait le geste de se retourner vivement lorsqu'il l'attrapa et la plaqua contre lui. Elle essaya immédiatement de se dégager, mais son bras la bloquait déjà solidement. Elle continua malgré tout de se débattre, ne supportant pas de le sentir contre elle, et avec une appréhension montante pour ce qu'il allait lui faire. Elle frissonna en sentant son souffle sur son cou pendant qu'il lui parlait à l'oreille, mais ne répondit rien, tentant de garder un semblant de dignité malgré la position dans laquelle elle se trouvait.

Même sans le regarder, elle se doutait de l'expression qu'il affichait en ce moment. Le ton de sa voix l'en avait très bien informée, quand bien même elle ne l'aurait pas suffisamment bien connu pour s'en douter rien qu'avec la situation. Ce ton qui dissimulait à peine son envie sadique de jouer... Elle l'avait tant entendu qu'elle ne pourrait plus jamais l'oublier. Elle ferma les yeux, réprimant un tremblement de terreur à l'idée de ce que ses paroles entrainaient.

"Laisse-moi aller le lui transmettre.
Je ne veux pas rester plus longtemps
Auprès d'un monstre tel que tu peux être,
Et qui transparait dans ton ton..."

La jeune damnée se doutait bien que son objurgation n'aurait que peu d'effets, mais elle n'était pas suffisamment maîtresse d'elle-même pour ne pas réagir à l'idée de rester auprès de Karya. Au moins avait-elle répondu calmement, sans verser dans le désespoir, la peur ou la haine. Ce qui, venant d'elle, était déjà beaucoup. Habituellement, la seule présence de l'ange déchu la mettait hors d'elle. Elle avait fait de grands progrès depuis, des progrès forcés, entrainés par son emprisonnement, qui la faisait côtoyer presque au quotidien ses deux ennemis, Karya et Aranwë. Et, avec le temps, cela avait moins d'effets sur elle. Un peu moins...

Mais, malgré tout, se sentir bloquée contre lui, plaquée sur sa poitrine sans parvenir à se dégager était très loin de la laisser indifférente. Surtout avec le ton qui avait été le sien, et le sourire qu'elle ne pouvait s'empêcher de visualiser intérieurement... Tous deux lui rappelaient de très mauvais souvenirs... Des souvenirs vieux d'il y a sept siècles, mais toujours aussi vivaces. Et toujours aussi douloureux... Le pire était peut-être que le seigneur des révoltés, grâce à sa clairvoyance, devait être au courant de toutes les réactions de la jeune damnée, même les plus intérieures. Ce dont elle était parfaitement consciente, et ce qui ne faisait que renforcer la colère qu'elle ressentait. Un cercle vicieux, en quelque sorte.

Lynhild se retint de ne pas réagir. Garder ses insultes pour... après... Ce qui voulait dire, au cas où elle en douterait encore, qu'il avait l'intention de lui faire quelque chose. Elle écartait au maximum sa tête de lui, essayant d'éviter de sentir ses doigts dans ses cheveux, mais rien n'y faisait. D'un autre côté, étant donné qu'il la tenait étroitement serrée contre lui... Il était presque impossible qu'elle y arrive.

Les paroles qu'il lui souffla à l'oreille la firent de nouveau trembler, et se demander, l'espace d'un instant, si elle n'aurait pas préféré qu'il la torture... Mais sa pensée fut interrompue lorsqu'il la souleva brusquement. Elle se débattit, le frappant autant qu'elle le pouvait et essayant de lui glisser entre les doigts, mais il savait trop bien comment la maintenir, et elle ne put l'empêcher de la jeter sur son lit. Son regard apeuré croisa celui, amusé, de l'ange déchu. Amusé et contenant comme une invitation sadique à la résistance... Qui eut exactement l'effet inverse.

"Je ne peux pas lutter, je le vois bien.
Le seul pouvoir qui est encore le mien
Est de te priver du plaisir de ma résistance.
Vas-y, prend ta soi-disant récompense.
Puisque je ne peux m'y opposer,
Je tâcherai de ne pas encore plus t'amuser..."

A ces mots, elle s'obligea à ne plus bouger, concentrant tous ses efforts à afficher la plus grande indifférence qui lui était possible. Ses yeux fixèrent un point imaginaire au dessus d'elle, sans qu'elle ne soit vraiment consciente de ce qu'elle voyait.

Lynhild ne put s'empêcher de regarder Karya avec étonnement lorsqu'il se leva et s'écarta du lit. Il n'avait plus l'intention de lui faire du mal ? Depuis quand renonçait-il ainsi... ? Son étonnement dura peu : il revint bientôt vers elle avec une corde et la lui noua autour du cou. Elle frissonna en sentant les brins rêches toucher sa peau, mais réussit à ne pas réagir. Il allait donc voir Colmor... Puisque c'était ce que son ami voulait, il était bon que cela arrive, certainement. Elle tressaillit et se tendit en voyant la main de Karya approcher, mais il se contenta de solidifier le noeud, afin qu'elle ne puisse plus le défaire. Elle s'astreignit à rester immobile tandis qu'il la regardait silencieusement, sentant le poids de son regard sur elle. Enfin, après un temps qui parut incroyablement long à la jeune damnée, il tourna les talons et sortit. Elle poussa un soupir, laissant chaque muscle de son corps se détendre avec un soulagement inexprimable.

Que pouvait-il bien avoir à dire à Karya... ? Elle ressentait une très forte envie de le savoir, tout en redoutant la réponse. Colmor n'avait pas voulu lui confier ses plans... Certainement parce qu'ils ne lui plairaient pas. Elle devait essayer de lui faire confiance malgré tout, de ne pas essayer de le juger sur des actes dont elle ne connaissait pas les raisons... Elle soupira. Continuer à se torturer l'esprit à ce sujet ne la mènerait nulle part. Mise à part à laisser le doute s'insinuer en elle, ce qu'elle ne voulait sous aucun prétexte.

Elle se redressa et s'assit au bord du lit. La corde n'était pas bien longue, malheureusement. Pourtant, il fallait qu'elle profite de cette occasion unique de trouver son trident. Et elle ne pouvait pas aller fouiller par elle-même, elle devait se contenter de ses yeux, et de sa télékinésie lorsqu'elle avait des doutes. Les recherches allaient être longues... très longues, même... Surtout qu'elle devrait veiller à ce que tout retrouve sa place exacte, pour que l'ange déchu ne se rende pas compte de ce qui s'était passé. Elle commença donc sa fouille méthodique, en partant de la gauche du lit où elle se trouvait, pour ensuite parcourir toute la pièce, allant aussi lentement que nécessaire pour être certaine de ne rien avoir laissé lui échapper.