réveil douloureux (pv premier révolté venu)

Lynhild ouvrit les yeux, une douleur sourde et lancinante martelait l'arrière de son crâne. Elle sentait la froideur d'un carrelage sous son corps. Elle se redressa légèrement en secouant la tête. Un bruit de tintement la fit sursauter. Elle réalisa alors qu'elle était enchainée. Tout lui revint alors. Cette jeune fille qui l'avait enlevée... Elle se trouvait donc dans le palais de Karya. En levant le regard, elle vit qu'elle était précisément dans la salle du trône. Et que ses chaînes l'attachaient au trône en question. La damnée poussa un long soupir. Elle était donc revenue au point de départ. Tout cela n'avait servi à rien. Dès que cette pensée éclata dans son esprit, elle se donna une gifle.

"Le désespoir, je l'ai abandonné il y a longtemps.
Je ne vais pas m'y replonger au premier désagrément.
Prisonnière je suis, je dois l'admettre.
Mais tant que je ne les reconnaitrai comme maîtres,
Je resterai fidèle à ce qu'ils m'ont tous enseigné
Et je ne serai plus telle qu'ils voulaient me transformer."

Un bruit de pas lui fit lever la tête. Qui était le premier révolté qu'elle allait voir ? Elle regarda la porte s'ouvrir, résignée et décidée à la fois.

Lynhyild était restée silencieuse pendant le long discours de Karya, mais elle ne put retenir un cri de douleur lorsque l'ange déchu posa la main sur sa tête encore douloureuse, tout en faisant comme s'il n'avait pas remarqué qu'elle était blessé. Mais elle savait très bien qu'elle ne pouvait attendre aucune pitié de son bourreau. Un être tel que lui...

"Je suis étonnée de ta comparaison magnifiquement filée,
Je n'aurais jamais pensé que tu te comparerais avec une araignée.
Cet insecte manque singulièrement de grâce et de dignité,
Dont je te croyais fort entiché, à l'encontre de toute réalité..."

Sa voix, malgré la douleur qui la hachait, n'avait pas tellement tremblé. Elle gardait la tête froide, pour une fois, alors qu'habituellement la vue de Karya suffisait à lui faire perdre son calme. Même l'allusion à Aërhel en tant que sa maison ne l'avait pas amenée à réagir. La jeune damnée se surprenait elle-même, et avait bien l'intention de continuer dans cette voie aussi longtemps que cela lui serait possible.

Lyn'. A ce nom, la jeune damnée bondit. Comment osait-il employer ce surnom ? Précisément celui-là ? Elle se jeta vers lui, mais les chaînes qui l'entravaient la retinrent et elle retomba sur le sol de la salle avec brutalité. Le choc rouvrit ses blessures, et des gouttes de sang s'étalèrent sur le carelage. Elle se redressa avec difficultés. Sa tête tournait. Son aggressivité disparue, elle demanda, d'une voix basse :

"Karya... Comment as-tu su... ?
Ce nom seul pouvait m'affliger,
Dans ta bouche... Comment as-tu pu ?
Non, ne dis rien... Ta victoire, tu n'as pas à l'augmenter.
J'avais oublié ta clairvoyance...
Tu sais donc de ma violence
L'origine réelle, à propos de ce nom tendre
Que jamais plus je ne pensais entendre."

La damnée sourit avec amertume. C'était le nom que lui donnait l'ange qui avait été son maître pendant tant d'années. Et qui avait été mystérieusement assassiné.

Les yeux de Lynhild s'agrandirent d'horreur aux paroles de Karya. Mais elle comprit immédiatement qu'il ne l'en avait informée que pour la faire souffrir à l'avance, par la crainte que cette nouvelle créerait en elle, et, peut-être, pour avoir le plaisir de la voir se débattre. Cette dernière hypothèse, de ce qu'elle savait de l'ange déchu, était très vraisemblable. Aussi, au lieu de se mettre à crier et à essayer de se dégager, comme elle avait failli le faire, se contenta-t-elle de dire :

"Fais ce que tu voudras,
Puisque t'en empêcher je ne saurais.
Ce dont tu es capable, je le sais.
Tes paroles ne me duperont pas."

La jeune damnée ferma les yeux, tenant de se préparer mentalement à la douleur qu'elle n'allait pas tarder à subir. Car il n'y avait aucune chance pour que son bourreau renonce brusquement à la faire souffrir, alors que rien ne l'en empêchait. Elle eut une pensée pour Aka, qui l'avait prise au piège et livrée à son pire ennemi. Mais elle-même, qu'aurait-elle fait à sa place, placée ainsi devant de choix de mourir ou de faire prisonnière une inconnue pour le compte d'un autre ? Un sourire amer étira les lèvres de Lynhild. Au fond, tout cela aurait été tout à fait supportable si Karya n'utilisait pas ce nom, Lyn'...

Lynhild ne put retenir ses cris de douleur pendant que Karya visitait son esprit. Le sentir violer son intimité avec autant de désinvolture et, même, de plaisir était tout simplement insupportable. Et tout ce qu'il apprenait à travers elle... Elle avait l'impression de trahir ses camarades, même si elle ne pouvait rien faire pour s'y opposer. Lorsqu'il se retira enfin, elle respira plusieurs fois, profondément, comme si elle avait failli se noyer. Elle regarda son sabre familial, entre les mains de son pire ennemi, et des larmes de rage impuissante apparurent, pendant quelques instants, dans ses yeux.

"Ma fidélité, tu ne l'auras jamais.
Mais, puisque mon arme tu m'as volé,
A m'échapper je ne chercherai pas.
Si du nom de fidélité tu veux qualifier cela,
Fais comme bon te semble.
J'attendrai que nous soyons ensemble,
Pour qu'ensemble, nous te percions le coeur.
A ce moment, tu sauras que tu en avais un
Et découvriras l'étendue de ma rancoeur.
Tu n'y échapperas pas, car tel est ton destin."

La jeune damnée jeta un regard de haine froide à l'ange déchu. Elle se contrôlait parfaitement bien. Prenant les chaines qui l'entravaient dans sa main gauche, elle les tendit à son ennemi. Comment voulait-il qu'elle soit libre de ses mouvements si elle restait attachée ? Il y avait toujours le risque qu'il n'ait fait cela que pour se moquer d'elle, si naïve qu'elle avait pu croire qu'il ferait cela, mais elle prenait le risque.

Lynhild ne répondit que d'un hochement d'épaule méprisant à la raillerie de Karya. Son ennemi pouvait se moquer d'elle autant qu'il le voulait, cela ne l'atteignait pas. Sa tête bourdonnait encore du traitement que lui avait fait subir l'ange déchu, mais elle ne le montrait pas. Le coup de sabre qui brisa net ses liens lui entailla en même temps la main, lui causant une blessure relativement profonde. Mais son bourreau n'y faisait déjà plus attention. Être capable de faire le mal avec une telle désinvolture était peut-être ce qui lui rendait Karya aussi insupportable. Elle ne poussa pas un cri et ne réagit pas plus à la formule de congédiement sèche et hautaine de son ennemi. Elle déclara simplement :

"Je vais partir, car votre présence
Est ce que je déteste le plus au monde.
Restez avec votre morgue et votre suffisance,
Je préfère être victime qu'immonde."

Cela dit, elle fit demi-tour et sortit dignement de la salle du trône, faisant d'une main un garrot à son autre bras pour ne pas perdre trop de sang. Il lui restait à trouver un moyen de récupérer son sabre et de s'évader.